Dans le livre « Clarissa » de Stefan Zweig. L'héroïne éponyme est une jeune autrichienne de 21 ans, fille d'un militaire haut gradé de l'armée. Après ses études dans un pensionnat religieux, elle travaille auprès d'un médecin psychanalyste à Vienne. Elle le remplace lors d'un congrès international à Lusse, et tombe amoureuse d'un militant socialiste français. Ils parcourront la Suisse en échangeant sur la politique, le militantisme et ses idéaux.
De retour en Autriche, elle se retrouve enceinte alors que la Première Mondiale commence. L'homme qu'elle aime se transforme alors en un ennemi aux yeux de son pays, de son frère, de son père.
Elle devient infirmière et rencontre à l’hôpital un jeune patient de retour du front dont le comportement intrigue et inquiète. Terrifié par les événements, il souffre de tremblements, bégaye et est envahit de terreur au moment où il doit être examiné par les médecins, lorsqu'il doit évoquer la guerre, ou au moment d'aller aux électrochocs.
Mais auprès de Clarissa, il semble ne plus ressentir autant cette fatigue et ne plus être terrifié. C'est à ce moment là qu'un échange des consciences se fait, qu'il peut se sentir à nouveau en sécurité, en ressentant ce qu'il appelle « la bonté » de Clarissa.
Mais celle-ci se rend compte que bien qu'il ne simule pas son état et qu'il souffre vraisemblablement de stress post-traumatique, il prend néanmoins des médicaments pour aggraver ses symptômes, et ainsi être déclaré inapte au combat.
L'héroïne va alors devoir faire un choix qui implique sa morale et sa conscience.
Le soldat invoque les raisons qui le pousse à ne pas vouloir aller au front : l'impossibilité de croire qu'il agit pour le bien de son pays en tuant autrui, l'angoisse incessante d'entendre puis d'anticiper le bruit d'une bombe ou d'un ennemi, toutes ces choses qui le heurte profondément et ces effets qu'il ne sait pas maîtriser.
Clarissa ne veut tout d'abord pas être liée à son choix, lui rend les médicaments en le rendant libre de sa décision de les utiliser ou pas. Élevée par un père qui est haut gradé dans l'armée, elle a reçu de lui ses préceptes moraux, sa droiture et son intransigeance morale, ainsi que son dévouement pour le pays, Clarissa réprouve donc l'attitude du soldat, ainsi que le fait d'avoir à mentir à ses supérieurs en ne le dénonçant pas.
Clarissa illustre ici la théorie du système de sympathie de Max Scheler pour prendre des décisions qui implique la conscience : le lien qu'ont créé Clarissa et le jeune soldat provoque un effet de « participation affective » de la part de la jeune femme. Elle partage ses émotions sans les ressentir en elle-même. Elle éprouve de la pitié et se sent concernée par le sort du soldat. Elle va jusqu'à remettre en question les préceptes que son père lui a inculquée car elle n'est tout simplement plus d'accord avec ceux-ci. Clarissa fait preuve de conscience morale liée en partie à la sympathie, la compassion.
Elle fait un acte de charité qui bafoue les lois de l’État et du devoir. Mais sa responsabilité à elle était d'aider cet homme gravement éprouvé. Le renvoyer au front aurait été pour elle un acte dénué de justice. C'est une héroïne qui se constitue sa propre morale.
Dans la décision que va prendre Clarissa, on voit que la sympathie, le partage des consciences et la considération qu'elle porte au jeune soldat conduit à une sorte d'amour moral, à l'envie désintéressé de faire le bien. Cela mène à l'éthique, une façon d'agir qui prend en considération l'autre. Voilà mon cheminement de pensée personnel.
Cependant là où j'ai une objection, c'est que pour Clarissa il s'agit plus d'une sympathie qui semble causée par la maternité.
Pour Stefan Zweig, l'éthique peut aller à l'encontre à des règles et des lois et des règles communément admises, quand elle est fondée et vise à faire le bien. L'auteur fait passer ce message à travers plusieurs autres de ses personnages, dont le médecin psychanalyste et le jeune idéaliste français.
Quel est notre devoir envers les autres, et nos propres critères personnels pour l'établir ? Peut-on utiliser le mensonge pour assurer notre existence ? Quelle est notre responsabilité collective en temps de guerre ? Car celle-ci redistribue toutes les cartes, modifie profondément les comportements. Les questions d'honneur, telle que présentée dans le livre, d'atteinte personnelle et collective en tuant l'empereur, l'idée du « clan », qui anime les nationalistes autrichiens, peuvent-elles justifier une guerre ? Voilà ici la question que pose Stefan Zweig en mettant en scène l'intimité du personnage de Clarissa.
Enfin, les réflexions sur le devoir, la morale, l’État, parcoure ce livre pourtant court. Stephan Zweig redonne son importance aux « petites » actions d'entraide, partage ses réflexions sur l'Etat qui est pour lui une dystopie.
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