C'était l'histoire d'une reine qui vivait emmurée dans son palais. Protégée par une armée de chevaliers à son service, elle ne s'aventurait jamais au dehors. Le reste du monde n'était que forêt sauvage, remplis de bêtes nuisibles et de bois maléfiques, disait-elle à ses sujets. L'ivresse d'un monde nouveau à découvrir les avaient quittés. Certains ne l'avaient même jamais ressenti, car la vie au château les remplissait suffisamment, selon eux.
Quant aux autres, il était aisé de les dissuader de s'aventurer au dehors.
La Reine avait eu un enfant.
Esteban avait développé des forces qui ne lui échappèrent pas. Elle aimait contempler de sa fenêtre son fils lors de ses entraînements à l'épée. Dans la cour du jardin, celui-ci s'épanouissait sous ce regard qu'il ressentait comme emplie de fierté. Ce plaisir se répéta durant 15 ans. En grandissant il devenait si robuste et courageux, que l’orgueil de sa mère, un soir de banquet, lui fit annoncer à tous qu'il servirait la garde royale. Surpris et heureux, Esteban souhaita qu'on l'adouba rapidement. Il éprouvait de la joie à servir ce qu'il pensait être une noble cause. Il aimait servir, et protéger. Il avait de la considération pour les villageois et les paysans.
Cependant, personne ne savait quel danger menaçait le château. La forêt depuis longtemps s'épaississait au dehors, on ne voyait rien au-delà, et nul créature ne rongeait un ciel perpétuellement voilé.
Mais la garde se remplissait de recrues, et les tournois perduraient, dans le fracas des épées, provoquant l'excitation de tous, orgueilleusement rejouée à l'infini par des chevaliers fiévreux, animées du désir de servir la cour et la reine. Celle-ci, somptueusement vêtue de robes aux couleurs blanches et ors, ses cheveux roux relevés et tombants gracieusement sur ses épaules, observait son armée avec satisfaction.
Un jour Esteban surprit sa mère penchée sur la carte du royaume et ses contrées, des chevaux de bois rouges et or répandus sur un territoire bien plus vaste que ce qu’il n’avait jamais imaginé. Piteux, abasourdit, il comprit que les forêts maléfiques n’existaient pas, que sa mère attendait seulement d’élaborer un plan afin de s’emparer des royaumes voisins, qu’elle avait menti afin que personne ne soit tenté de voir ce qui existait au dehors, que tous l’écoutent aveuglément, elle qui les protégeaient des dangers. Il s’enfuit en courant et se réfugia auprès de l’odeur rassurante des chevaux et du crissement du foin de l’écurie. Enfouissant son visage au creux du cou de Porca miseria, son cheval et confident le plus proche, il fit pour la première fois l’expérience de la montée violente et puissante du dégoût, de la colère sourde. Sa mère voulait détruire, régner, indifférente à tout ce qui n’était pas elle, ou ses intérêts. Que méritait-elle, que devait-il faire ?
Le soir, il ne parvenait pas à s’endormir. Il était seul au creux de la nuit, et jamais elle ne lui avait semblée aussi étrange, elle qui le berçait autrefois de rêves peuplés d’espoir, de justice et d’équité.
Au matin il partit sur les terres de sa mère, avertissant les villageois, les prévenant que sa mère avait l’intention de les envoyer à la guerre. Il fallait qu’ils se préparent à une riposte, à un soulèvement, ou qu’ils fuient.
De retour de sa journée auprès des villageois, avant même de passer les portes qui le conduisaient à ses appartements, il vit la lame d’une épée que l’on enfonça dans son cœur. Et au loin, surgissant confusément dans un désordre de bleu et de taffetas, sa mère approcha. Elle sortit des roses de sa manche de dentelle, et lui planta une à une les épines le long des veines de son bras.
Plus tard, cette femme eut trois autres enfants.
Caprici, Hélia et Arman.
Hélia n'avait aucune animosité pour sa mère, et s'était habituée à ses interdictions. Elle avait vécu dans l'immense palais, aux pièces imposantes ornés de vitraux, aux cabinets particuliers remplis d'armoires hautes, et des statuts de femmes à l'expression à la fois éplorés et pieuses.
Mais un jour elle découvrit la même carte que le frère qu’elle n’avait pas connu, et sentit un mélange d’excitation et de fureur s’emparer d’elle. Elle partirait, et le soir même. En souhaitant s’enfuir par les toits, qui étaient proche d’une solide branche d’arbre, elle tomba et mourut.
Caprici fut choquée de la mort de sa sœur. Elle l’aimait comme une personne à laquelle elle s’était habituée ; elle ne partageait pas sa façon de vivre ou de voir les choses, et cela était pour elle un obstacle à son amour. Elle l’aimait donc à sa manière.
Elle découvrit également la carte, cette fois cachée derrière une armoire haute. Sa réaction fut toute différente de celle de sa sœur : elle alla voir sa mère, et lui fit du chantage. La Reine, amusée et intriguée, réfléchit et se dit que cette enfant était celle qui lui ressemblait le plus. Elle lui répondit qu’elle aurait l’autorisation de sortir du palais et de ses terres, et qu’en échange elle la formerait à l’exercice du pouvoir.
Arman, sans le savoir, avait le même caractère que le grand-frère qu’il n’avait pas connu. Il souhaitait l’équité, la paix et la justice. Mais il ne choisit pas les armes pour défendre ses idéaux. Il passait du temps avec le peuple, et aimait écrire le soir venu sur de beaux carnets de cuir.
Ces trois derniers enfants avaient un garde du corps qui avait essayé de les protéger depuis leur naissance. On ne connaissait pas grand-chose de lui. Quand naquirent les trois enfants, il s'occupa d'eux, tous. Il eut plus de tâche que n’importe quel garde, car vinrent se mêler en lui les sentiments d’un homme qui se sentait comme un oncle pour eux. (Hélia lui en voulait parfois parce qu'il ne venait jamais très régulièrement les visiter. Il devait perpétuellement tenter de déjouer des malices qui devaient les destituer du trône. On l'épiait souvent, alors il devait vérifier la présence d'intrus. Il devait d'abord dresser la liste de ceux qu'il soupçonnait, et les observer lui-même. Il cherchait à se faire ses propres connaissances qui pourraient le renseigner discrètement, et faire semblant d’être amical avec eux. Comme il était intendant, il pouvait fouiller à loisir dans les clés des occupants du château, et pénétrer dans les chambres des comploteurs. Tous les secrets étaient réunis dans ses pièces, ainsi que l'odeur du mystère. Pénétrer dans ces chambres étaient comme de révéler leur personnalité. L'organisation de la chambre, les replis, tendaient une atmosphère qu’il ressentait particulièrement.
Beaucoup dirent que cet empire dura longtemps. Caprici, en grandissant au contact de sa mère, développa le même caractère. Cependant, elle avait sa propre singularité, et si elle ressentait l’envie de conquérir, elle était plus mesurée, et essayait de ne pas prendre de mesures qui éprouveraient ces sujets. Elle se positionnait comme une reine, mais elle n’était pas cruelle. Cela était ambigu, ressentait-elle une forme d’intérêt pour eux, ou était-elle tout de même indifférente ? Elle ne le sut jamais.
Son frère était considérée comme un paria, une bête curieuse aux yeux de tous, il était naïf, étrange avec ses idées pour un monde qui n’existerait jamais. Mais sa sœur le respectait car il avait une sagesse qu’elle n’avait pas, elle le savait. Elle le consultait avant de prendre une décision. De son côté, lui sentait bien qu’elle avait un tempérament qui n’était pas celui de leur mère, et il ne souhaitait pas la pousser dans ses retranchements en ayant un avis trop engagé. Il était une présence discrète, et œuvrait de son côté. Il ne savait pas s’il l’aimait.
Ensemble, ils essayèrent de former un royaume prospère, mais néanmoins respectueux, plus stable que ceux qui régnaient autour d’eux.
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