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Les intérêts des livres, et questionnement sur la bibliothérapie




« Les livres ont toujours été accueillants aux exilés. […] Lire, c’est mon pays. Rien ne manque quand je lis, le temps disparaît et je ne dépends de personne pour cela. Les histoires réparent ; dans un livre, on est toujours chez soi. » écrit Régine Detambel dans « Les livres prennent soin de nous ».

Un livre peut bouleverser son lecteur, lui donner de l’élan, mais aussi un lieu où se sentir chez soi, et la sensation d’être compris. Et c’est de ce constat que vient l’envie de lire, mais aussi de partager sur la littérature. Et quand le pouvoir de l’écrit rejoint le soin, cela donne une pratique, pour soi et les autres : celle de la bibliothérapie.



Photo de Ioann-Mark Kuznietsov



Ce qu’on trouve dans les livres


Jean-Baptiste André, écrivain, déclare « S’il y a bien quelque chose dans la vie qui émancipe, qui ouvre, qui libère, ce sont les livres. » (revue « Page » de la rentrée littéraire 2023), qui est comme un réponse à Joubert pour qui le livre est « un outil de liberté ». Un outil de réflexion pour soi, pour tenter de comprendre les émotions… C’est l’assemblage de ces réflexions, de ses pensées, et ce que l’on en fait qui importe, la construction de nous-même à partir du livre.


Kafka voyait le livre comme « la hache sur la mer gelée en nous » qui est censée nous réveiller, nous révéler des vérités à nous même, et pas des manières les plus douces selon la métaphore… Mais il est vrai que les livres ont une réelle incidence sur nous. La lecture ne nous laisse pas indemne, et selon Kafka, l’acte de lire doit nous déranger. Nous devons réveiller ce qu’il y a en nous, fissurer la surface lisse pour faire ressurgir émotions, passé, souvenirs… Et ainsi mieux nous connaître. Mais l’on peut vouloir de quelque chose de moins frontal, d’une lecture plus douce, et c’est déjà être dans une démarche de bibliothérapie, puisque l’on sait que l’on préfère éviter de tout voir voler en éclats d’un seul coup.


Mais le livre c’est aussi l’inconnu. Le livre nous confronte à la découverte et l'imprévu, et savoir à l'avance quelle identité nous allons prendre le temps de quelques pages est impossible. Les personnages vont nous faire ressentir leur intériorité comme si c’était la nôtre. On peut se retrouver au fin fond de l’Alabama des années 70, vivre dans une forêt ou dans le cabinet d’un psy, ou encore se dresser sur des barricades… On se retrouve interpellé par des choses et des événements que l’on n’avait pas prévu de vivre. L’écrivain c’est celui qui va creuser dans des gisements mystérieux, à partir de lui-même, pour en extraire l’essentiel pour le cœur.



L’utilité du livre pour soigner


Sachant que les livres ont mille pouvoirs, il est normal que l’on est cherché à se qu’ils puissent soigner. La bibliothérapie a toujours existé, les hommes cherchant toujours dans les livres mille choses différentes, mais c’est une bibliothécaire afro-américaine, Sadie Peterson Delanay, qui pour la première fois tente de créer une sélection de livres qui correspondrait aux besoins individuels et personnels des vétérans de la Première Guerre Mondiale, souffrants de troubles psychologiques, à l’hôpital de Tuskegee en Alabama.


Car dans la pratique de la bibliothérapie, il serait réducteur, comme le dit Régine Detambel, autrice de l’essai « Les livres prennent soin de nous », de donner une liste remplie de livres stéréotypés qui empêcherait le lecteur de trouver ses propres mots et ses propres réponses, qui affadirait ses pensées, et le contraindrait presque à se vivre comme un stéréotype (perspective réjouissante, il faut l’avouer). C’est un peu ce que propose certains ouvrages de recommandations de livres à usage biblio-thérapeutique, ou d’autres de développement personnel, prêt à l’emploi, mais qui vous permettront de guérir de vos traumas, bien évidemment.


Convaincre les gens des bienfaits des livres est important, mais les standardiser ou les vendre comme solution-miracle est à mon sens un problème. Jean Guéhenno n’aurait sans doute pas aimé le sort que l’on fait aux livres, lui qui disait dans « Les carnets du vieil écrivain » " On ne lit plus pour aucun profit, rien que pour "admirer" en toute gratuité et dans une joie indéfinissable, au-delà de soi-même ". Il est partisan de la lecture d’un livre pour ce qu'elle a à nous offrir, pas pour ce que l’on cherche. Dans ses déclarations cependant le livre apporte bien quelque chose, puisqu’ici il répond tout de même à un besoin.


Dans le cadre de la bibliothérapie, il s’agit d’avoir une lecture dirigée par rapport à un problème ou un mal-être. Et ce qui fait que le livre n’est pas un médicament, c’est bien le fait que le bibliothérapeute s’intéresse de près à l’individualité de la personne en face de lui. Est-ce que des échanges prolongés et personnels avec un patient ne serait pas le meilleur moyen de pallier à cette idée de « prescription », qui ressemble à celle d’un médicament, comme le faisait Sadie Peterson Delanay ? Aucun livre n’a le même effet sur deux personnes. Derrière le livre il y a l’humain, l’écrivain.e, et nous savons bien que chaque humain réagit différemment à un autre être humain, et qu’il en ressort toujours des choses différentes.


Au Québec des études sont menés par notamment Katy Roy, qui a publié « Bibliothérapie, trésor d’imaginaires » et qui, à travers les images et l’imaginaire que nous avons de nous-même, tentent de voir comment nous pouvons nous construire en tant que sujet. Comment nous donnons un sens psychique à notre vie grâce aux symboles, pour ainsi nous réapproprier notre vie, ce qui est intéressant en bibliothérapie pour le « prendre soin ». Et à force d’assembler des visions et des livres, on se construit mieux.


A mon sens, le livre nous montre ce que nous ne pouvons pas voir d’emblée ; j’aime qu’à force de creuser, un texte me révèle quelque chose. Nous avons réellement besoin d’autres récits pour faire le nôtre, que ce soit pour aller mieux, mais aussi pour se trouver, et le livre peut constituer un précieux outil de soin. Il est avant tout un trésor, et lui conférer des vertus thérapeutiques n’est que reconnaître sa force.



(Lien vers le travail du photographe : https://unsplash.com/fr/@mrrrk_smith?utm_content=creditCopyText&utm_medium=referral&utm_source=unsplash)

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