Lui était toujours là, son sac en bandoulière jeté en arrière, un éternel blouson noir au dos, et sa longue silhouette se détournant parfois de ses camarades afin de pouvoir me scruter, alors que je me tenais de l'autre côté de la cour, l'observant tout autant. Les occasions de se rapprocher étaient nombreuses : on prétextait la traversée de la cour pour aller chercher une collation au foyer, ou des affaires dans son casier situé à l'intérieur du bâtiment, un coin de soleil que l'on préfère soudainement à la rambarde où l'on s'était posé, etc.. De nombreux groupes de lycéens plus petits en âge et surtout en taille compartimentaient l'espace dallée, obligeant ceux qui s'adonnaient à ce manège amoureux à cheminer, avec plus ou moins de succès, en un passage mouvant et instable pour rejoindre l'autre partie. Ce challenge faisait partie du jeu. Cet instant fugacement intense était suffisant pour créer cette émotion propre aux premiers émois. Assister au spectacle de sa « moitié » évoluant parmi les groupes de jeunes gens faisait que l'on restait là, comme pétrifié, tandis que successivement ses pas l'amenaient de plus en plus près. La foule de camarades représentaient soudain un rempart, une protection contre laquelle on pouvait se cacher, soudain aussi effrayé à la vue de l'autre qu'ému de son rapprochement furtif. Bientôt il serait à notre hauteur, encore quelques pas et l'on vibrerait, on ressentirait, soit un frôlement d'odeur ou de peau, soit l'absence d'une présence inatteignable. Quel sort allait nous réserver celui qui nous faisait chavirer ?
Après avoir lu "15 ans" de Philippe Labro, au lycée.
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